La nuit est faite pour attraper les étoiles.
Le rêve dissout notre esprit de toutes contraintes.
Evadez-vous dans l'inconnu, dans cette entité, vous ne serez jamais amenés à vous retourner.
Martine Tardy Pierretta
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Je ne voulais pas lui donner l’impression que j’attendais de ses nouvelles. De plus, je ne savais rien d’elle ni quel était son problème. Néanmoins, j’avais le sentiment qu’elle avait de gros ennuis, mais lesquels ? Deux jours plus tard, à quatorze heures précises, je l’attendais à l’entrée de la station de métro Denfert-Rochereau. En ce début d’après-midi, de nombreux passants circulaient encore. J’avais mis de grandes lunettes rouges teintées et une grosse écharpe en laine qui me couvrait jusqu’au menton. Elle n’était pas encore arrivée. J’espérais qu’elle ne m’avait pas fait faux bond, ce serait vraiment importun. À quatorze heures dix, toujours aucune nouvelle ! « Eh bien ! pensai-je en moi, je vais patienter encore dix minutes, puis je partirai. » Le froid avait repris du service, la température avoisinait le « un » degré. Je piétinais pour combattre la température hivernale, mais aussi pour apaiser mon impatience. Soudain, je ressentis une présence derrière moi. En me retournant, je la vis, hésitante à m’accoster, cherchant à s’assurer qu’il s’agissait bien de moi.
— Ah, te voilà enfin ! Dis-je.
— Désolée ! J’avais oublié mon portable chez moi et j’ai dû faire demi-tour. Me répondit-elle.
— Bon, on ne va pas rester là à braver le froid. Je te propose d’aller dans un salon de thé.
— OK ! Ça me va !
— De toute façon, avec ce temps, nous n’avons pas vraiment le choix ! Rajoutai-je.
Je lui suggérai de nous installer au fond de la salle.
— À l’abri des regards, n’est-ce pas ? Rétorqua-t-elle.
— Oui, autant que possible !
Nous commandâmes nos boissons. Pour moi, ce fut un café, et pour elle, un chocolat chaud.
— Bien ! Commençai-je. Quel est ton prénom ?
— Melaine ! Et toi, ton vrai prénom ?
— Enchantée ! Océane est mon véritable prénom ! Que faisais-tu donc à la gare, seule ?
Je vis ses grands yeux s’embuer. Sa gorge se noua, et elle détourna le regard pour mieux fuir le mien.
— Prends ton temps, tu n’es pas obligée de me répondre, ou du moins pas tout de suite. Fais comme tu le sens !
Elle demeura silencieuse pendant quelques instants. Finalement, elle me confia que sa vie était un véritable enfer.
— Comment ça ? Que veux-tu dire exactement ! Qu’essaies-tu de m’expliquer ? Sache que je ne suis pas là pour te juger, mais il y a sûrement des choses que je peux faire pour t’aider.
Elle n’était pas sur la défensive comme lors de notre première rencontre, mais je voyais bien qu’elle avait du mal à exprimer son désarroi. Je ne souhaitais pas la brusquer. Je lui proposai d’aller choisir une pâtisserie. Après un bref moment d’hésitation, elle se leva et se dirigea vers le rayon pâtisserie. Elle revint avec un chou à la crème.
— Et toi, tu ne prends rien ? Me demanda-t-elle.
— Oh que si, je vais me laisser tenter par quelques macarons.
Lundi, à seize heures trente, j’étais devant le collège de Melaine. Je n’étais pas reconnaissable et ne voulais surtout pas tomber face à face avec le vautour. J’avais une casquette enfoncée jusqu’aux oreilles et de grosses lunettes. Apparemment, il n’était pas là pour l’attendre. D’ailleurs, lui arrivait-il de venir la chercher ? Des noyaux d’élèves se succédaient, parfois par dizaines. Certaines filles étaient outrageusement maquillées. En ce printemps plutôt doux, la plupart des demoiselles portaient un short avec une paire de collants de couleur. Des groupes, tout juste sortis de l’établissement, se rassemblaient pour fumer une cigarette. Les filles fumaient autant que les garçons. Des couples se formaient une fois le portail franchi. Des parents guettaient leur enfant, tandis que d’autres ne sortaient pas de leur voiture.
J’aperçus Melaine qui sortait du collège ; elle était avec deux amies. Elle ne portait pas de short, mais un jean et des baskets, un peu comme d’habitude. Elle se dissimulait, honteuse de son corps et surtout pour ne pas attirer l’attention de son beau-père. Une fois dans la rue, après avoir jeté un dernier coup d’œil, je m’approchai d’elle. Elle parut très étonnée, mais ne fit aucun commentaire devant ses amies, qu’elle embrassa pour leur dire au revoir. Nous nous éloignâmes du collège et empruntâmes une petite rue peu fréquentée. Tout en marchant, elle maugréa :
— Que viens-tu faire là, ne t’ai-je pas dit qu’il n’était plus nécessaire de se voir ? Je pensais avoir été claire pourtant !
— Tu l’as été !
— Ben alors, pourquoi tu es venue, puisque j’ai été claire ?
— Stop ! Ça suffit, tu penses qu’on jette les gens comme des mouchoirs en papier sous prétexte qu’on n’a plus besoin d’eux.
— Mais je ne t’ai pas forcée, c’est toi qui as bien voulu m’aider.
— Alors ça, c’est un feu facile comme réponse, tu ne crois pas ?
Elle ne sut plus trop quoi dire, mais se ressaisit :
— Ce n’est pas parce que tu es une personnalité que tu as tous les droits !
— Je ne pense pas outrepasser mes droits. Tu devrais juste te rendre compte que je m’inquiète pour toi, car je suis une des rares personnes à savoir ce qui se passe chez toi.
— Et alors, ça change quoi ?
— Ça change tout ! Je ne peux pas manifester de l’indifférence. Comme tu vois, je ne suis pas si star que ça.
— Je dois aller prendre le métro, mon beau-père sait à quelle heure je termine.
— Eh bien ! Tu n’as qu’à lui dire que tu devais voir un prof pour qu’il t’explique un devoir. Ça se fait !
— En dernière heure, j’avais anglais et, en anglais, j’ai dix-huit de moyenne. Il ne va pas me croire.
— Tu n’as qu’à lui dire que ton prof vous a demandé un exposé en binôme et que tu devais en discuter avec une autre élève.
— C’est malin, il va vouloir voir cet exposé et je n’aurai rien à lui présenter.
— Ah bon, parce qu’il s’occupe de ta scolarité ? Je pensais qu’il n’en avait rien à faire.
— Mais c’est faux, chaque fin de semaine, il me demande mes notes.
— Tu veux me faire croire qu’il se soucie de toi ! Je n’y crois pas une seconde ! Cet homme-là ne pense qu’à son petit confort.
— Laisse-moi tranquille ! Je ne veux plus t’entendre et encore moins te voir. Ne t’avise plus de venir me trouver à la sortie du collège. Si tu continues, je te signale à la police. Je leur dirai que tu me harcèles, et avec ta notoriété, on ne parlera plus que de ça.
— Tu penses me faire peur ? Sache que j’ai gardé tous tes SMS qui prouvent que tu es abusée par ton beau-père.
Je lui disais cela dans le but de la déstabiliser, c’était le seul moyen de lui montrer qu’elle devait poursuivre son combat contre le vautour. Préparée à des paroles humiliantes, j’anticipai mes réponses.
— Tu veux détruire ma carrière en me faisant passer pour une folle, libre à toi. Cependant, je ne serai pas la seule à en subir les conséquences. Un jour, ta mère l’apprendra et elle tombera aussi. Quant à toi, si tu ne fais rien, tu resteras soumise aux exigences de ton beau-père pendant de nombreuses années, tout du moins jusqu’à ce que tu t’en ailles de chez toi.
— OK, j’ai eu besoin de toi, mais maintenant, je gère.
— Tu gères quoi ? Tu es sous son emprise. Il te domine. Ta mère finira par s’en apercevoir, et qui sait, peut-être qu’elle le sait déjà. Parfois, il est plus simple de fermer les yeux. Elle se dit que tant que tu supportes cette situation, ton beau-père reste avec elle.
— S’il en était ainsi, je me sentirais moins coupable !
— Comment ça, moins coupable ?
Je vis son visage se crisper, son corps se raidir. Toutefois, elle devint rapidement très nerveuse et la colère reprit le dessus.
— C’est ma vie, rien que la mienne. Il m’appartient de vivre comme je l’entends, de décider ce qui est bon pour moi et mon entourage, dont tu ne fais pas partie.
— Dont je ne fais plus partie ! OK ! Ne t’inquiète pas, je te laisse. Bonne fin d’après-midi.
Sur ces mots, je m’en allai, n’ayant rien à ajouter.
Elle n’avait même pas cherché à me rattraper. Je commençais à me demander si cela valait la peine de continuer à m’inquiéter pour Melaine. Après tout, j’étais probablement la seule à me soucier d’elle. Elle me traitait comme un paria, je l’ennuyais. Ma décision était prise, je laissais tomber.